Le garde-lumière
6/20/202312 min read
Il existait par-delà les montagnes et les mers, des terres lointaines peuplés par des hommes et des femmes semblables à nous. Sur ces terres, il y avait un pays, plus précisément un royaume. Les dynasties qui régnaient là-bas étaient semblables à celles qu’on pouvait trouver chez nous jadis. Cependant, elles différaient évidemment sur quelques points, notamment en ce qui concerne l’éducation de leurs enfants. Pour chaque naissance, il était coutume d’adopter du même coup un orphelin.
Cet orphelin devait devenir le « garde-lumière ». Tandis que l’enfant royal apprend à devenir un roi, à diriger et à faire toutes ces choses dont il aura besoin plus tard, le garde-lumière apprend à être un guerrier, un protecteur, un diplomate. Officiellement, il doit endosser tous les rôles les plus importants de la vie de son ou sa protégée. Il doit être son garde du corps, son second, son négociateur. En résumé, il doit être son homme de confiance. Celui qui est capable de tout.
Certains historiens estiment qu’étudier l’histoire de ces gardiens est aussi pertinent qu’étudier directement les grands hommes. Il est vrai que certains d’entre eux ont servit de conscience à leurs dirigeants à des moments clé. Ces gardiens deviennent souvent des membres de la famille. Sans doute même le plus proche, dans « famille royale », être « royale » et souvent plus important d’être « une famille ».
Seulement être une famille, ça ne veut pas toujours dire que l’on s’aime. Certains d’entre eux furent les pires rivaux que connurent de grands empereurs. Ainsi, au fur et à mesure que les pages des livres d’histoires s’étoffaient, les méthodes d’éducation des gardiens se sont affinées et l’importance de leurs rôles toujours considérés sur l’échiquier politique.
C’est dans ces circonstances que l’un d’entre eux entra malgré lui dans l’histoire. C’est son histoire que je vais à présent vous conter, celle de cet homme qui semblait piéger dans une pièce d’Euripide.
Comme toujours, quand on s’intéresse à l’histoire d’un gardien, nous devons parler de ce qu’il garde. Nous nous dirigerons donc vers le plus somptueux des palais dans la plus grande des villes. Dans la plus luxueuse de ses chambres, naquit une petite fille aux traits tout à fait charmants. Elle fut nommée Firmitas, en hommage à une grande gouverneuse qui chassa autrefois un roi incompétent.
Quelques jours plus tard, on attribua à un petit garçon d’un an trouvé devant le presbytère d’un village voisin. Il emprunta son nom à un héros de la mythologie locale connu pour son sang-froid et sa loyauté : Vipotent.
Durant son enfance, la jeune fille se montra dotée d’un formidable esprit. Elle possédait même l’insolence et l’impertinence propre aux plus grands génies.
En parallèle de cela, le jeune garçon subissait tous les jours 1000 et 1 leçon visant à l’introduire à tous les arts dont il devrait rapidement être maître. Le jeune garçon était studieux et sérieux. Sans doute, par association avec l’idéal dont son nom était extrait et avec lequel on lui bourrait régulièrement le crâne. Plus simplement, on ne lui laissait peut-être pas assez de temps et de tolérance pour être un enfant.
Les deux bambins s’entendaient très bien. La future reine semblait prendre à un malin plaisir à tourner en ridicule le sérieux de son gardien. Le respect qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre en raison de leurs différences flagrante leurs à permis de se compléter. Il lui apprenait que se montrait sérieuse et attentive (ou au moins de le feindre) pouvait s’avérer bénéfique. Elle lui enseigna qu’on ne pouvait pas vivre en étant uniquement sérieux, elle était même la seule qui pouvait lui décrocher des sourires sincères. La partie de la famille régente chargée de les encadraient été ravis de voir que tous se déroulait exactement comme ils l’avaient prévu.
Peut-être que s’ils avaient passé plus de temps à s’occuper de l’épidémie qui ravageait leur peuple et un peu moins à faire en sorte que leur progéniture lève le petit doigt en buvant, l’histoire aurait été différente.
C’est justement dans la 15ém années de Firmitas que cette peste s’imposa à la famille royale. Ce fut plus précisément quand le couple royal fut contaminé et que la couronne roula par terre qu’ils furent contraints de revoir leurs priorités. En attendant la majorité de Firmitas, un oncle fut nommé régent afin que le royaume ne tombe pas totalement en ruine.
À la mort de ses parents, la future reine ne ressentit nulle tristesse. Difficile d’être triste pour des inconnus qu’on ne voit qu’à travers les portraits officiels. Ce fut bien plus dur pour Vipotent : Après cette disparition, son entraînement fut intensifié et encore plus diversifié. Il fallait s’attendre à ce que bon nombre de personnes tentent de s’en prendre à la future régente. « On ne peut rien laisser au hasard. »
Cela lui donna un trait de personnalité qui lui suivra pour le reste de sa vie. Il se transformait en un vrai donneur de leçon. Lors des leçons de combat qu’il donnait à Firmitas, plus précisément la visée de précision au pistolet, il ne cessait ces remarques sur le comportement de Firmitas. (Notamment en ce qui concernait sa toute nouvelle passion pour les garçons.)
Devant lui, la princesse faisait mine de s’énerver, mais en réalité, c’était Vipotent qui enrageait de la voir se perdre dans les frivolités. Impossible de savoir si le travers de du jeune homme était à l’origine de celui de la jeune fille, ou bien l’inverse. En-tout-cas, elle, prenait un malin plaisir à ce petit jeu du chat et de la souris, et inconsciemment elle était touchée de voir que quelqu’un s’inquiétait réellement pour elle.
Cette situation perdura jusqu’à ce que la princesse devînt reine. Après une soirée bien arrosé organisé officieusement par la concernée, l’oncle rendit le pouvoir sans tenter de coup d’état ou de se positionner dans le gouvernement. Il avait passé 3 ans à combattre la peste avec un certain succès. Si certains foyers résistaient, le gros de l’épidémie était contenu et le peuple ne semblait plus se faire décimer par cette dernière.
La nouvelle reine devrait pourtant faire face à d’autres ennemies, beaucoup moins figuratifs. En ayant pris conscience de la personnalité de Firmitas (qui fut jugé comme immature.) La plupart des pays frontaliers lui déclarèrent la guerre. Ils devaient frapper vite afin de récupérer un maximum de territoire avant que le pouvoir ne soit consolidé.
Malheureusement pour eux, il se trouve qu’elle n’était pas seule. Vipotent se trouvait être un général de renom qui ne tardât pas à inscrire ses lettres de noblesse dans le récit de cette guerre. Il était un tacticien de renom doublé d’un épéiste de talent. Le front sur lequel il se trouvait finissait toujours par lui céder.
La reine de son côté montrait autant de zèle que son gardien. (Ce dernier devait être son bouclier, mais il était devenu sa lame.) Son comportement et sa tendance à céder à toute sorte d’excès n’entravaient en rien son rôle de chef des armées. Elle prit goût à la guerre et à son rôle de stratège. Elle y prit tellement goût qu’elle ne se contenta pas de défendre ses frontières, mais mit à genoux ses agresseurs en leurs prenant une grande partie de leurs territoires. Les seuls pays qui réussirent à maintenir leurs territoires intacts furent ceux qui virent claire dans le jeu de Firmitas et signèrent un traité de paix juste après le début de la guerre.
Cette guerre se termina en un éclair et offrit à Firmitas un triomphe incroyable. Vipotent revint rapidement à la capital et défila en tête de cortège.
La reine utilisera sa toute nouvelle influence pour poursuivre ses excès. Elle fit venir les alcools les plus forts du monde et les drogues les plus enivrantes qu’elle pouvait trouver. Cependant, elle prenait toujours grand soin de son peuple. Elle dut notamment commencer à administrer les nouveaux territoires et les populations conduisent. Son gardien se chargeait de sauver les apparences et de rattraper chacune de ses frasques. Elles étaient pourtant de moins en moins discrète, comme si elle voulait attirer l’attention de quelqu’un. En parallèle de cela, il assurait sa protection rapprochée, craignant l’assaut d’un nationaliste.
Il s’était habitué à accomplir ses quatre volontés et cette situation lui convenait tout à fait. Si son travail était usant, il trouvait toujours du réconforts auprès d’autres gardes-lumière qu’il rencontrait durant les visites diplomatiques où il se rendait.
Le temps s’écoula et le royaume prospéra. La reine menait une guerre sempiternelle à la peste, cette maladie en cessait de partir et de revenir sur le devant de la scène. Ce combat semblait l’avoir assagi, et ce, pour le plus grand bonheur de Vipotent. Ils passaient de longues soirées et à échanger sur divers sujets, ils étaient différents mais pas incompatibles. Ils avaient beaucoup à s’apprendre.
Au même moment où la jeune fille devint femme, le pays devint empire. Firmitas ne renia pas son passé et en fit une arme politique. Sa puissance était si polyvalente que tous la craignaient ou la respectaient. Si cela consolidait son influence et affirmer son autorité, la situation avait également un effet pervers : Seule en haut de son prestige que nul n’égalait et lassait des passions passagère, la reine se languissait. Elle désirait compléter le couple royal, pour son plaisir personnel, mais également afin de perpétuer la dynastie. L’impératrice ne pouvait pas s’occuper de cette tâche, elle devait faire face à nouvelle forme de peste particulièrement virulente. Elle chargea le seul de ses serviteurs dont elle était sûre qu’il n’agirait pas par intérêt impersonnel. Vipotent dut parcourir le monde une nouvelle fois.
Il commença par se rendre dans le seul pays qui n’avait pas tenté d’envahir le royaume. Il espérait y trouver un membre de la famille royale convenable. Un mariage avec cette lignée permettrait de renforcer l’alliance entre les nations tout en l’affirmant au monde entier.
Il fut reçu avec tout le prestige qui lui était dû. Vipotent ne dévoila pas ses véritables intentions et prétexta une visite diplomatique de courtoisie. Après avoir salué l’assistance, il fut invité à la table du roi.
Le souverain de cette terre avait l’habitude de manger seul. Cette invitation était une façon pour lui de montrer son respect envers ses invités.
Vipotent découvrit à ce repas un homme âgé inspirant le respect. Sans dévoiler son jeu, il réussit à obtenir une information cruciale : le fils aîné de la fratrie n’était pas encore fiancé. Il s’agissait de l’héritier du trône ! Vipotent était heureux de voir sa quête prendre fin si vite. Il savoura ensuite sa soirée et son repas en compagnie de son hôte si agréable.
En se retirant dans ses appartements, il fit savoir à un serviteur qu’il désirait rencontrer le jeune prince (toujours au nom de « l’amitié » ) entre les royaumes.
Quelques heures plus tard, une jeune fille vint à la rencontre de notre protagoniste. Elle se présenta comme la garde-lumière du prince et expliqua qu’il n’était pas disponible pour le moment. Elle révéla qu’il trouvait que son père s’accrochait un petit trop à la couronne. Elle lui apprit même qu’il projetait de commettre son assassinat sous peu. (Le prince étant jeune et plutôt progressiste, la jeune fille pensait sans doute que le futur roi aurait l’approbation du royaume.) Vipotent remercia sa collègue pour ses informations, souhaita bonne chance au prince et mima la fatigue afin qu’elle quitte sa chambre.
Seul, il rédigea un court document attestant que le prince préparé un mauvais coup, il insista bien sur son identité et sur le sérieux de ces propos. Il se vêtit ensuite à la façon des rôdeurs et sorti par la fenêtre de sa chambre. Il se rendit sur les remparts de la ville et rejoint le bastion. Avec la plus grande des discrétions, il se glissa dans la chambre de la cheffe de la sécurité.
Elle se raidit d’un coup et sauta sur son épée. Pour éviter toute effusion de sang, Vipotent se démasqua. La cheffe baisa son couteau et le reconnut. Il a été son amant quand ils combattaient ensemble jadis. Il lui remit alors le document en lui expliquant la situation puis s’apprêta à repartir. Cependant, la cheffe lui proposa de finir la nuit ici, afin de se détendre un petit peu…
Au petit matin, après avoir passé la nuit à ne pas dormir, il fit ses adieux, attrapa en coup de vent ses affaires et reparti sur les routes.
Il était hors de question que ce prince soit envisagé comme conjoint potentiel. S'il trahit son propre père, comment lui accorder ne serait-ce qu’une once de confiance ?
Un petit peu déçu, notre héros se dirigea vers le prochain royaume. Il s’agissait d’un petit royaume qui n’avait jamais eu de grandes prétentions. Sa position géographique le désavantageait grandement en cas de conflit, et il se détourna donc de la politique internationale.
Il l’atteint après une semaine de route. Il fut surpris de voir des rues désertes ou mal famées. Les rares personnes qu’il croisait lui lançaient des regards noirs emplis de haine. Il se dépêcha de rejoindre le château, à l’intérieur de celui-ci, l’ambiance était totalement différente.
Le jeune prince se trouvait sur un trône de fer entouré d’une multitude de gardes. L’autorité et la peur s’emmêler aux fumées émanant des braseros qui agissait comme unique source de lumière.
Après s’être présenté, il rejoint l’assemblée dans la pénombre. Cette dernière ne semblait être qu’un bruit de fond incessant. Tous les aristocrates chuchotaient entre eux et donnaient plus l’impression d’élèves en sortie scolaire que de dirigeants.
À 10 h pile, tous se turent. Les épaisses portes du château s’ouvrirent et un bon nombre de personnes entrèrent. Ce groupe était hétéroclite, on ne pouvait trouver de paramètre commun à tous ces visages, si ce n’est l’effroi qu’ils s’efforçaient de cacher. Vipotent compris à cet instant qu’il s’agissait d’une séance de procès.
Le jeune prince fut sans pitié avec tous les sujets qu’on lui livra. 84 personnes comparurent pour des crimes et délits très divers. 73 furent condamnés, dont 53 à mort.
Dégouté de cette justice et conscient de la révolution populaire qui s’annonçait. Il s’en alla sans se retourner.
Il avait déjà rencontré la famille royale du dernier pays qui aurait pu être acceptable, mais il était d’une incompétence telle qu’il ne constituait pas une option.
Entre un tyran, un mauvais roi et un traître. Vipotent abandonna l’idée de trouver un conjoint potable parmi la haute aristocratie et décida d’élargir les recherches à tout type de personne. Si ce mariage n'était pas un avantage pour le royaume, au moins, Firmitas serait heureuse.
Il erra donc anonymement parmi tous les paysages, arpenta tous les collines et escalada toutes les montagnes. Pourtant, il ne trouvait personne qui correspondait à ses recherches. Les éventuels prétendants avaient toujours un défaut qui le rebutait. Il continua ainsi un an, en vain.
Honteux et déçu, il se redirigea vers le palais. C’était la première fois qu’il ratait une mission si importante. Le goût désagréable de l’échec lui sembla pareil à celui de l’ail et lui resta en bouche.
À peine avait-il mis un pied sur son territoire qu’il fut reconnu par un soldat ayant combattu avec lui. Il lui fit appris une nouvelle terrible : La peste avait fini par rattraper la reine ! Son état empire de jour en jour ! À cause de l’anonymat qui incombait à sa quête, Vipotent ne put être prévenu.
Sous le choc, il sauta sur son cheval est disparu en un geste. Il arriva avec fracas au château et fracassa les portes de la chambre royale avant de s’écrouler au chevet de sa protéger.
La reine était pitoyable, ses cheveux blonds n’évoquaient plus le blé. Ils faisaient plutôt penser à de la paille entassée dans une grange. Ses grands yeux bleus avaient perdu de leurs lumières, un gris pale occupé désormais ses orbites.
Malgré son teint maladif, la reine ne pouvait s’empêcher de sourire en voyant son pauvre garde-lumière. Le sang perlait de sa bouche créant presque comme une sorte de maquillage. Vipotent lui essuya la bouche et se fondit en un flot d’excuses.
« Je suis désolé ma reine, j’aurais dû être là. J’aurais dû réussir au plus vite ma mission. J’ai traversé toutes les terres et connus tous types de personne, aucun ne serait vous égaler. »
La reine sourit de plus belle et passa sa main sous le menton de Vipotent. Elle exigea du même coup que tous sortent de la pièce.
« Mon bon Vipotent, c’est moi qui suis désolé. J’aurais dû savoir que tu placerais la barre trop haut. Tu as toujours voulu le meilleur pour moi, et ce, quoi qu’il arrive. Tu as passé tant de temps dans la bibliothèque et accumuler tellement de connaissance, pourtant, tu n’as pas vu que je voulais juste quelqu’un comme toi. Il se trouve justement que tu es quelqu’un comme toi gros bêta. Dans une autre vie, nous aurions peut-être pu vivre heureux. Je suis déjà content que tu sois là. J’ai un petit peu peur, j’ai besoin que tu me protèges une dernière fois, je voulais que tu sois le seul à assister à ça. »
La reine ferma les yeux, sa main tomba du menton de Vipotent et s’entendit jusqu’à toucher terre. Vipotent le remit sous la couette et borda la défunte reine. Une unique larme coulait le long de sa joue droite.
Il sortit sans rien dire de la chambre, remis son déguisement et s’enfuit à travers mont et vallée une ultime fois. On aurait trouvé une trace de lui dans un royaume lointain appelé « Francie ». Selon un document poussiéreux, il aspirait à la paix et la rédemption en accueillant quiconque viendrait lui demander conseil dans sa maison, en haut d’une haute montagne enneigé.















